La lumière du matin filtrait à travers les rideaux, mais dans l’unité Fougère, la journée commençait déjà depuis longtemps. Lema posa délicatement la main sur l’épaule de Madame Moreau, réveillée trop tôt, le visage encore marqué par le sommeil.
Son sourire était tendre, presque rassurant, mais ses yeux trahissaient une fatigue profonde. Une fatigue qu’elle dissimulait avec soin, car elle savait que les résidents, eux, avaient besoin de chaleur, pas de lassitude.
Nana, de l’autre côté du couloir, aidait Monsieur Bernard à enfiler sa chemise. Elle prit une grande inspiration, consciente que chaque mouvement, chaque geste, lui demandait plus d’énergie que la veille.
Pourtant, devant les familles qui passaient dans la salle commune, elles échangeaient des regards complices, forçaient la bonne humeur, racontaient des petites blagues légères.
« Tu as vu, Madame Dupuis, aujourd’hui on va chanter ‘Mon amant de Saint-Jean’, » disait Lema d’une voix douce, le sourire aux lèvres.
Mais dès que la porte se refermait derrière les visiteurs, la tension retombait. Nana s’appuyait contre le mur, les paupières lourdes, tandis que Lema s’asseyait un instant, serrant les poings pour ne pas céder à la fatigue.
Elles étaient deux, pour plus de vingt-cinq âmes fragiles. Deux pour des tâches innombrables : les soins, les toilettes, les repas, les animations, les petits moments d’attention qui faisaient toute la différence.
Elles ne se plaignaient jamais à voix haute. C’était leur force et leur faiblesse.
Parce que derrière chaque sourire offert, il y avait des nuits trop courtes, des douleurs ignorées, des sacrifices invisibles.
Et pourtant, elles recommençaient, chaque jour, à déployer cette énergie rare, ce don de tendresse. Pour que les résidents ne sentent jamais, ne devinent jamais, la fatigue qui les rongeait.
Parce que pour elles, le respect, c’était ça aussi : être présentes, pleinement, sans laisser la fatigue envahir le regard de ceux qu’elles aimaient comme une famille.