Nos proches ont besoin de nous !

Chapitre 4 – Les voix qui portent (suite)

Les premiers échanges furent protocolaires. La direction évoqua les prochaines activités, le menu du mois d’août, une animation musicale prévue « si le planning le permet ». Puis Madame Rolland, la directrice, prit la parole pour faire un point sur « la situation en ressources humaines ».

Un vocabulaire propre, presque aseptisé. Pas un mot sur l’épuisement. Pas un mot sur Lema et Nana seules, encore ce matin, pour vingt-six résidents.

Thomas écoutait sans interrompre, les mains croisées sur son carnet. Puis, quand vint le tour des familles, il se leva légèrement sur sa chaise et prit la parole.

Sa voix était calme. Mais elle couvrit d’un coup toutes les phrases creuses qui flottaient encore dans la pièce.

— Je voulais d’abord remercier les aides-soignantes. Quand je vois comment elles s’occupent de ma mère, malgré le manque criant de personnel, je me dis qu’on a de la chance. Une chance humaine. Pas organisationnelle.

Un silence.

— Mais cette chance, on ne peut pas s’en contenter. Elle ne doit pas reposer uniquement sur la bonne volonté d’une poignée de femmes qui tiennent debout quand tout vacille autour d’elles.

Madame Rolland s’agita un peu sur sa chaise. Elle s’attendait à ce que Thomas parle. Elle espérait qu’il n’irait pas trop loin.

— Je ne suis pas ici pour vous attaquer, dit-il, les yeux dans les siens. Mais je ne suis pas là non plus pour fermer les yeux. Je vous le dis avec respect : nous avons un devoir de vigilance. Un devoir de courage.

Il marqua une pause. Son regard balaya les visages.

— Ma mère ne parle presque plus. Mais je vous assure qu’elle sent tout. Elle ressent quand on lui parle gentiment, quand on la touche avec douceur, quand on lui accorde trois secondes de plus. Ces secondes-là, elles comptent. Et je refuse qu’on les supprime au nom d’une logique de rentabilité.

Le ton était posé. Mais il n’y avait pas de doute : Thomas ne reculerait pas.

— Je resterai exigeant. Pas parce que je suis en colère. Mais parce que je crois qu’on peut faire mieux. Et je le dois à ma mère, comme vous le devez à tous ceux qui, ici, ne peuvent plus se défendre seuls.

Anabelle, en retrait, hocha la tête lentement. Elle savait. Et même si elle ne pouvait pas tout dire, elle respectait chaque mot.

La réunion reprit, un peu plus tendue. Madame Rolland remercia poliment, rappela les « efforts en cours », évoqua les « contraintes budgétaires »… Mais ses phrases glissaient désormais sur un mur solide : la vigilance de Thomas.

Et dehors, dans le couloir de l’unité Fougère, Lema poussait doucement le fauteuil de Madame Dupuis, un air de Charles Trenet aux lèvres, sans savoir que quelqu’un, là-haut, veillait aussi pour elle.

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