Les nuits étaient souvent les plus cruelles.
Quand le silence recouvrait l’EHPAD, Thomas repassait dans sa tête chaque image, chaque mot, chaque souffle fragile de sa mère et des autres résidents. Ces instants qui semblaient si ordinaires — un sourire oublié, une main restée trop longtemps dans le vide — devenaient des cris muets dans son esprit.
Il savait que garder tout cela pour lui n’avait aucun sens. Mais comment parler ? À qui confier ces blessures qui n’étaient pas seulement personnelles mais collectives ?
Il avait déjà écrit des lettres, interpellé la direction, questionné les soignants. Les réponses, quand elles venaient, restaient vagues, noyées dans un jargon administratif. Thomas sentait qu’il se heurtait à un mur.
Alors, une idée l’obsédait : il fallait que quelqu’un d’extérieur entende cette réalité. Quelqu’un qui ne puisse pas détourner les yeux. Un relais, un appui.
Il pensait aux institutions, aux médias, aux élus. Mais lequel de ces chemins était le plus juste ? Il n’avait pas envie de hurler pour hurler, ni de salir ceux qui, comme Lema et Nana, se battaient chaque jour avec une tendresse admirable malgré la misère de moyens.
Ce qu’il cherchait, c’était un espace où sa voix — et à travers elle, la voix des résidents et de leurs familles — serait prise au sérieux. Où ses mots ne seraient pas renvoyés à de simples plaintes isolées, mais considérés comme le symptôme d’un système malade.
Dans son carnet, il nota une phrase qui allait devenir un fil conducteur :
« Tant qu’on ne nous entend pas, rien ne changera. »
C’était une conviction nouvelle, presque un cap. Il ne suffisait plus d’endurer, de dénoncer dans le vide ou de se résigner. Il fallait trouver une oreille capable d’ouvrir une porte, une porte capable de donner accès à une salle où les décisions se prenaient.
Alors, Thomas commença à chercher. Internet, contacts, forums de familles, associations déjà engagées : il explorait toutes les pistes.
Un nom revint à plusieurs reprises. Celui de son député local.
Un élu accessible, disait-on. Quelqu’un qui pouvait recevoir, écouter, parfois relayer.
L’idée fit son chemin. Ce ne serait pas simple, peut-être même décevant. Mais c’était une chance. Et Thomas savait qu’il devait la saisir.