Ce matin-là, la tension flottait dans l’unité Fougère comme un courant d’air trop froid.
La mère de Madame Vanelle, une résidente atteinte de troubles cognitifs avancés, avait déclenché dans la nuit une agitation inhabituelle. L’équipe d’infirmières s’était relayée pour l’apaiser, mais rien n’y faisait. Elle refusait les soins, arrachait ses perfusions, criait par instants. Une situation connue, mais toujours délicate.
Nana, épuisée, s’était tournée vers l’infirmière de jour.
« Tu as pu joindre le docteur ? »
L’infirmière secoua la tête.
« Pas de réponse. Comme d’habitude. J’ai laissé trois messages. »
« Et la cadre santé ? »
« En réunion. Elle m’a dit de gérer au mieux, « comme d’habitude ». »
Un silence s’était abattu dans le couloir.
Thomas, qui passait souvent le matin, avait perçu l’agitation. Il s’approcha doucement, devinant que quelque chose clochait.
« Il se passe quoi ? »
Lema soupira.
« Une situation qu’on connaît trop bien. C’est à l’infirmière de décider, seule. Encore. Et s’il y a une erreur, c’est elle qu’on pointera du doigt. Pas ceux qui sont censés encadrer. »
Quelques instants plus tard, l’infirmière, visiblement tiraillée, posa la question fatidique :
« Je peux lui faire une injection de sédatif. C’est prescrit « si besoin ». Mais… elle refuse. Elle crie, mais elle refuse. Elle ne comprend pas. »
Un long silence.
Thomas s’approcha, le cœur serré.
« Est-ce qu’on a appelé sa fille ? Elle pourrait peut-être l’apaiser, donner son accord au moins ? »
« Pas le temps. Et pas de consigne claire. Encore une fois, on nous laisse décider seules, avec des protocoles flous et des horaires impossibles. »
Lema murmura :
« Ce n’est pas comme ça qu’on soigne. Pas comme ça qu’on respecte les gens. »
Finalement, l’injection fut reportée. La fille de la résidente arriva en fin de matinée, la tenant par la main, la berçant doucement. La tension retomba.
Mais le mal était fait : la solitude des soignants, leur isolement dans la prise de décision, était devenu insupportable.