Il y avait des jours où Thomas souriait. Vraiment. Où il plaisantait avec les aides-soignantes, où il riait avec sa mère, même fugacement. Et puis il y avait ces autres jours. Ces soirs silencieux, comme celui-là , où l’on entendait juste le cliquetis lointain des chariots dans les couloirs, et les vagues de la mer au loin, comme une respiration oubliée.
Il était assis dehors, sur le petit banc de pierre du jardin arrière, là où personne n’allait vraiment. Dans sa main, une photo légèrement froissée : ses parents, sur une plage, l’été de leurs trente ans de mariage. Il avait ressorti cette image sans le vouloir, en vidant un carton resté dans sa voiture. Et tout était remonté.
Le regard de son père, à la fois fier et inquiet. Il avait toujours su voir au-delà des apparences, son père. Et quand les premiers signes étaient venus — les oublis, les confusions, les silences trop longs — il avait compris.
Mais ce que Thomas ne parvenait toujours pas à accepter, c’était ce geste radical de son père, ce départ volontaire. Comme une manière de leur dire : « Je ne vous imposerai pas le poids de ma chute. Je ne veux pas être ce fardeau. »
Et malgré les lettres laissées, malgré les mots d’amour, malgré les tentatives de compréhension, une blessure persistait. Celle de ne pas avoir pu retenir celui qui, jusqu’au bout, les avait protégés.
Alors Thomas avait tout fait pour sa mère. Il l’avait installée chez lui, aménagé une chambre claire, engagé trois passages d’infirmières par jour, emmenée à l’atelier mémoire, à la chorale municipale, à toutes les activités de la ville. Il lui parlait, la coiffait, lui faisait réciter des poèmes, lui mettait du rouge à lèvres avant qu’elle ne l’oublie.
Quatre années entières.
Mais les chutes étaient devenues plus fréquentes. L’une d’elles, dans la salle de bain, l’avait laissé figé pendant des heures. Il n’était pas là . Il travaillait. Et ce jour-là , quelque chose en lui s’était brisé.
Alors, avec ses deux sœurs, ils avaient pris cette décision. Pas une démission, pas un abandon. Une décision de protection. Un choix contraint. L’EHPAD n’était pas un soulagement. C’était un dernier recours.
Et pourtant, même maintenant, entouré de soignantes formidables, même à Fougère, même avec Lema, même avec tout l’amour et l’attention qu’il mettait dans chaque visite…
Le sentiment d’abandon ne le quittait pas.
Il se leva, replia doucement la photo, la glissa dans sa poche.
Puis il rentra, le pas lent, le cœur serré mais droit. Comme son père lui avait appris. Et en croisant Lema dans le couloir, il lui sourit doucement, avec une infinie reconnaissance.